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Biographie - épisode 9 : les blessés de la Grande Guerre

Monsieur A. : « Malgré ses 45 ans, mon grand-père partit le premier à la guerre en août 1914. Mon père le suivit un an après et partit pour le 4e régiment du génie le 8 septembre 1915. Sa formation fut de courte durée. Le 8 février 1916, soit cinq mois plus tard, on l’envoya lui aussi en première ligne, dans les tranchées.

Le 20 mai 1916, il fut blessé à la mâchoire par un éclat d’obus au Bois de Marbotte (Meuse) et fut envoyé à l’hôpital de Montpellier pour y être soigné. Nourri par la gorge les premiers temps, on lui confectionna une prothèse de mastication en ferraille chromée qu’il utilisa dès le mois d’août 1916, sans jamais vraiment avoir pu la supporter. Il rentra en mai 1917, reprit sa vie auprès des siens. Par la suite, il fut sujet aux phlegmons que notre docteur, alors jeune praticien, pensait être la conséquence de particules d’os encore renfermées dans ses chairs. Plus tard, ce même médecin allait aider mes parents à revaloriser le montant de sa pension. »


Madame P. : « Lorsque la guerre éclata en 1914, mon père n’avait pas 18 ans et n’était pas encore mobilisable. Mais Joseph, son frère aîné, partit au front. Alors que beaucoup d’hommes avaient déjà été appelés, Michel assura seul un travail considérable entre montagne et vallée : gérer les troupeaux à l’alpage là-haut, faire le fromage, couper les foins en bas… !

Joseph fut blessé à la tête, on craignit pour ses yeux, il fut alors réformé.

À son tour, mon père fut incorporé le 8 avril 1915, comme soldat de première classe. Il fut blessé par balle le 4 septembre 1916 à Soyécourt, à l’épaule gauche et à un doigt gauche. Le 18 juin 1917, au mont Cornillet, un sommet du département de la Marne près de Reims, un éclat d’obus lui fit une plaie profonde allant en biais, depuis le côté droit, jusqu’à frôler la moelle épinière.

Sur sa feuille militaire, il est noté : « plaie pénétrante de la région sacro-iliaque droite » qui eut comme conséquence : « perte de substances osseuses importantes de l’os iliaque droit et d’adhérence cicatricielle profonde ».

Papa nous a raconté qu’après la bataille, les blessés étaient tellement nombreux que les médecins commencèrent par s’occuper de ceux qu’ils pouvaient sauver. Pour mon père, sa blessure était si grave que son espérance de vie était compromise, et il entendit le médecin dire à ses collègues : « celui-là, il est foutu ! ». Ils le mirent en attente. Ce n’est que le troisième jour qu’ils commencèrent à soigner sa blessure. Contre toute attente, il s’en remit après 6 mois d’hôpital militaire et une longue convalescence en milieu médicalisé. Pendant tout ce temps, sa mère lui écrivait souvent des lettres qui l’informaient sur les travaux. Elle lui donnait des nouvelles du village, des permissionnaires s’il y en avait eu, du beau temps ou de la neige redoutée, et elle lui partageait aussi ses soucis sur les restrictions. Ses lettres étaient toujours terminées par une phrase optimiste.

Mon père fut mis en congé illimité de démobilisation le 3 avril 1919. Après cette blessure, il porta toute sa vie une large ceinture de flanelle pour protéger sa cicatrice, l'aider à se tenir droit et le soutenir dans ses efforts. »


Monsieur C. : « À vingt ans, mon père frôla la catastrophe, car il fut happé par la Grande Guerre, ce qui lui garantissait presque assurément une issue macabre dans les meilleurs délais. Mais les premiers partis comme lui n’en savaient encore rien.

Il ne nous parla pas de ses sombres aventures qui durèrent pourtant quatre longues années. Nous sûmes cependant qu’une mauvaise blessure avait décidé de son rapatriement fin août 1916. À Cléry, sur le front de la Somme, une balle lui avait transpercé les côtes et effleuré le cœur. Il s’en était tiré sans trop de mal et sans infirmité. Tout juste remis sur pieds, il fut renvoyé d’où il était venu, pour alimenter une fois de plus les rangs d’un conflit qui s’éternisait. Il fit partie de ces miraculés qui traversèrent les batailles de Verdun, de la Somme, et le front d’Orient en Serbie.

Alors que finissaient de sécher les paraphes de l’armistice signé le 11 novembre 1918 dans la voiture-restaurant du Maréchal Foch à Rethondes, que le traité de Versailles n’était pas encore signé, sa mère Madeleine fut prématurément rappelée à Dieu dans sa cinquantième année, anéantie par une vie trop difficile et le souci de savoir son fils dans les feux de l’enfer. Elle laissait à leur destinée ses sept enfants célibataires, dont six mineurs (la majorité était fixée à 21 ans). La benjamine nommée Marguerite allait avoir dix ans.

Dans les années trente, deux messieurs endimanchés étaient venus en délégation officielle remettre à mon père un magnifique tableau de médailles. C’était bien le minimum qu’ils pouvaient faire, car ces remerciements furent les seuls en dépit de bien des souffrances et en l’absence de pension de guerre.

Je ne connaissais pas la signification de ces merveilles, mais cinq médailles et deux barrettes valaient bien d’être encadrées. La solennité de la démarche m’encouragea à placer mon père dans le camp des héros. »










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