Biographie, épisode 16 : l'usine Berliet
Une vie au service de Berliet
Dans le nord Isère, beaucoup ont travaillé à l’usine Berliet de Vénissieux. Chaque matin, les autocars sillonnaient la campagne pour conduire les milliers d’ouvriers jusqu’à leur poste de travail.
Monsieur O. y a passé toute sa carrière :
Dans les années cinquante, mon cousin était inspecteur technique chez Berliet. Sa sœur était mariée au chef d’atelier modelage. Ce sont eux qui nous ont permis d’y entrer à notre tour.
Mon frère a été embauché à l’usinage. Moi, qui n’avais que 17 ans, on m’a classé en Jeune Ouvrier (J.O.). Formé au métier de tapissier, j’avais demandé à travailler sur les autobus, à l’habillage intérieur. Mais j’étais trop jeune pour être affecté dans ce bâtiment, alors on m’a placé en fonderie, comme noyauteur. Je travaillais aux pièces avec les jeunes, et beaucoup de femmes. La ligne de moulage (de pièces) était à côté. On travaillait dans la poussière et à côté des convertisseurs, de gros engins de plus de dix mètres de haut, dans lesquels le métal était nettoyé de ses imperfections. Toutes les impuretés sont recrachées. J’ai suivi des cours de metteur au point automobile, pour changer de poste.
Nous partions avec le car de ramassage de l’entreprise qu’on prenait sur la place du village.
Dans cette énorme entreprise de 18 à 20 000 ouvriers, les syndicats nous captaient dès notre embauche. Après-guerre, ils étaient très actifs. Je me suis syndiqué à la C.G.T. Dès qu’un mouvement de grève était lancé, nous suivions les ordres des délégués. Au coup de sifflet, la chaîne de montage était à l’arrêt. Sur ces chaînes, les cadences de travail étaient dures.
Au cours de ma carrière, il y a eu de nombreuses causes à défendre : niveau des salaires, temps de travail, 5e semaine de congés… En 1968, quatre délégués syndicaux avaient été licenciés. Grâce à l’action des ouvriers, ils ont tous pu réintégrer l’entreprise.
Chez Berliet, mon frère assurait le transport du personnel entre Pont-de-Beauvoisin et Vénissieux. Durant la journée, il travaillait aux cantines. Ensuite, on l’a placé au service maintenance. Il conduisait des chariots élévateurs, des grues, et le train qui faisait la navette entre Vénissieux et Saint-Priest où se trouvaient d’autres bâtiments de l’entreprise (il ravitaillait aussi les ouvriers en sandwichs, boissons et cigarettes).
En 1962, de retour du régiment, j’ai repris mon travail chez Berliet. On m’a placé au montage des camions, une ligne de fabrication d’environ 200 mètres. On commençait par occuper un poste fixe, puis peu à peu, on devenait volant, c’est-à-dire qu’on pouvait être placé à n’importe quel poste du montage. Il fallait fixer le moteur, réservoir d’embrayage, les fils électriques, les transmissions… jusqu’au montage complet du camion. On travaillait parfois à cinq ou six sur un châssis. La chaîne avançait, donc chaque poste devait avoir fini dans le temps imparti. On sortait une vingtaine de camions par jour. J’ai donc appris sur le tas et suis devenu polyvalent.
Sur les conseils d’un ami et voisin, je me suis inscrit à l’école Berliet de Montplaisir pour y suivre des cours tous les samedis. J’y suis allé de vingt-deux à vingt-six ans. J’ai eu de bons professeurs. Mon diplôme de régleur m'a permis de devenir responsable de sept ou huit gars, avec la charge de vérifier que tout est bien fait. S’il manquait un gars, je devais le remplacer.
Sur la chaîne de montage, il fallait tenir le rythme. On travaillait 9 heures par jour, et parfois, on n’avait même pas le temps de manger. On glissait le casse-croûte dans la poche du bleu.
Ensuite, je suis passé régleur en bout de ligne de montage. On faisait passer les camions sur des rouleaux. Les contrôleurs notaient toutes les anomalies : fuites d’eau, d’huile ou d’air, pièces mal montées, etc.
Puis venaient les retoucheurs qui réglaient tous les problèmes. Chaque retoucheur prenait un camion en main pour effectuer les derniers réglages. Les derniers essais étaient effectués sur pistes à Saint-Priest ou à la Valbonne, dans l’Ain.
Souvent le vendredi soir, des collègues et moi allions à Bourg-en-Bresse avec une navette de l’entreprise pour aller chercher des camions. Nous devions les mener jusqu’au port de Marseille. On roulait la nuit sur la nationale, parce qu’on avait l’interdiction de prendre l’autoroute. Ces camions étaient exportés vers la Chine. Vers 4 ou 5 heures du matin, on rentrait par le train au départ de la gare de Saint-Charles. Ces heures supplémentaires arrondissaient les fins de mois.
Bien plus tard au début des années quatre-vingt, le montage des camions a déménagé à Bourg-en-Bresse . En 1981, on m’a envoyé en mission de trois mois en Algérie. Je suis parti à Rouïba, à côté d’Alger. Puis avec un collègue, nous avons été affectés à Constantine. Nous nous rendions dans les garages algériens de la SONACOM pour changer les pièces défectueuses. On rentrait toutes les fins de semaine en voiture. La ville avait beaucoup souffert des suites de la guerre. Elle était devenue sale et souffrait du manque d’entretien. J’ai redécouvert des villes que j’avais connues pendant la guerre.
Ma femme est venue me voir. Les voyageurs en provenance de France apportaient souvent des produits introuvables ou très chers en Algérie, comme l’alcool. Dès que quelqu’un arrivait à l’aéroport, on lui demandait ce qu’il avait apporté. Depuis le balcon de l’aéroport Boumédiène où je l’attendais, je l’ai vue avancer avec sa valise, passer entre les douaniers occupés à fouiller les voyageurs, sans se faire contrôler !
Mon poste ayant déménagé à Bourg-en-Bresse, j’ai demandé une nouvelle affectation pour rester à Lyon. Je me suis rendu au département Études et Recherches de Saint-Priest. Un chef d’atelier m’a proposé de travailler sur les prototypes ponts et boîtes de vitesses. J’ai occupé ce poste jusqu’à ma retraite en 1998.
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