Récit de vie, autobiographie : faire le bien et se faire du bien !
Aujourd’hui, raconter, parler de soi est presque devenu une banalité. Les échanges sur les réseaux sociaux en témoignent. La société nous apparaît comme une juxtaposition d’individualités. Beaucoup déplorent cette réalité et critiquent le narcissisme ambiant. En psychanalyse, il est normal chez l’enfant, l’adolescent, il est « compensatoire » chez l’adulte, donc potentiellement à traiter.
Remontons le temps…
L’autobiographie a longtemps été critiquée, car il s’est agi d’une littérature personnelle, une vision individualiste et narcissique de l’écriture qui pose notamment la question de la sincérité. Ainsi, peu d’écrivains s’y sont frottés. L’histoire a retenu, entre autres, Saint Augustin (IVe siècle) ou Jean-Jacques Rousseau (XVIIe siècle) qui ont rédigé leurs Confessions, Montaigne, ses Essais (XVIe siècle).
Ces écrits sont les plus connus, car exceptionnels pour leur époque. Avec l’évolution de l’écrit et des connaissances, de la technologie, beaucoup d’autres s’y sont attelés, souvent de simples gens.
Je pense à Émilie Carles, institutrice dans le Briançonnais au début du XXe siècle, ayant écrit Une soupe aux herbes sauvages. Le Cheval d'orgueil, livre largement autobiographique de Pierre-Jakez Hélias, est paru en 1975. Il a été rédigé en breton et traduit en français par l'auteur. Marcel Pagnol a raconté son enfance dans La Gloire de mon père.
J’ajouterai à cette brève énumération l’étonnant livre de Jean-Marie Déguignet (1834-1905) : Mémoires d’un paysan bas-breton.
Ces dernières publications ne sont ni l’œuvre d’écrivains connus ni des chefs-d’œuvre de la littérature. Elles offrent néanmoins un témoignage fondamental sur une époque donnée et ont la vertu de nous plonger dans notre propre histoire et nos références personnelles. « La mémoire des autres met en mouvement notre mémoire », explique René Rioul[1]. Ainsi, le vécu partagé permet de prendre conscience de sa place dans une société, une culture, de mieux comprendre qui l'on est.
Certes, on ne fera pas une œuvre de chaque vie, et la plupart de nous se diront : « En quoi ma vie, assez banale en soi, intéresserait-elle quelqu’un ? » ou « J’aurais bien peu de pudeur à vouloir étaler ce que j’ai vécu et comment je l’ai vécu… » Ceux-là balayeront l’idée d’un revers de langue.
Dans un article qui touche aux motivations, Samuel Guillemot et Bertrand Urien[2] distinguent au moins six raisons qui incitent les personnes à faire un récit de leur vie que j'ai représentées dans cette tarte colorée.
Et vous ? Quelle portion de tarte choisiriez-vous pour vous lancer ?
Certains en choisiront une seule, quand d’autres, plus gourmands, opteront pour plusieurs. Car, au-delà d’une simple envie de transmission que l’âge fait grandir souvent naturellement, avez-vous imaginé en quoi revenir sur votre histoire pourrait être une source de satisfaction et de bien-être pour vous-même et vos proches, voire pour une sphère plus large de lecteurs ?
Une étude publiée en 2012 par Jason P. Mitchell, professeur agrégé à Harvard, a montré que lorsque nous parlons de nous-mêmes, on constate une activité accrue dans une zone du cerveau dévolue à l’affectivité qui libère la dopamine, une molécule qui joue un rôle dans la motivation humaine. Cette zone est au centre de processus de récompense, c’est-à-dire des processus biologiques qui participent à la sensation subjective du plaisir, en réponse à différents stimuli comme la nourriture, le sexe, la musique, ou les drogues.
Lors d’une rencontre entre professionnels de la mémoire[3] en novembre 2002, les intervenants ont souligné les effets thérapeutiques ou l’amélioration de la qualité de vie des personnes se soumettant à l’exercice du recueil de mémoire.
Voici huit ans que j’accompagne les personnes dans leur récit de vie. 100 % des personnes ont pris plaisir à revenir sur leur histoire personnelle, bien que dans la moitié des cas, ce sont leurs enfants ou amis qui les avaient incitées à le faire. Lorsqu’il est question de parler de soi, la porte est toujours ouverte et je suis accueillie avec le sourire. Si le temps de recueil passe toujours trop vite, cette démarche qui touche l’être en profondeur a le mérite de remettre en mouvement l’individu, de le replacer dans sa propre histoire.
Lorsqu’il parle du « désir d’autobiographie », René Rioul conclut en ces termes : « Écrire un journal ou ses souvenirs au lieu de vivre, ce serait du temps perdu ? Allons donc ! Écrire sa vie, c’est vivre. C’est vivre plus consciemment, plus fortement. »
[1] RIOUL René, Le désir d’autobiographie, conférence du 7 mars 2003, à l’université Marc-Block à Strasbourg.
[2] GUILLEMOT Samuel et URIEN Bertrand, Les services biographiques répondent-ils aux motivations de récit de vie ?, Gérontologie et société, Fondation nationale de Gérontologie, 2010.
[3] Rencontre entre professionnels de la mémoire, Opale, le 27 novembre 2002.